L’histoire se passe dans un milieu rural des plus rudes. On ne sait pas vraiment où et quand elle se déroule, mais l’on s’imagine dans une région de France, au bas Moyen Âge. Peu importe, en réalité, car cette histoire transcende les époques et nous plonge dans un univers archaïque où les instincts primaires et la lutte pour la survie dominent. La vie est difficile, marquée par les crises, la maladie et la famine, mais aussi par la figure tyrannique du seigneur local. « La profusion et l’opulence ne vont que du côté des maîtres ».
Madelaine, petite fille sauvage, va transformer la vie des habitants d’un hameau. Écrit comme une véritable ode à la nature, ce roman est un parfait exemple de mélange de genres, avec son atmosphère de conte et sa tension de thriller.
Dès les premières pages, Sandrine Collette déploie une écriture sombre, qui nous remet en mémoire les temps où la maladie, l’accident, le manque de nourriture nous jetaient précocement et précipitamment dans la tombe. Ici, les gens subsistent plus qu’ils ne vivent. « La moitié des enfants ne passe pas les dix ans ». C’est ainsi, « les oiseaux poussent hors du nid les bébés faiblards, les renards abandonnent dans les bois les petits malformés ou fragiles ».
Il n’y avait pas que du mauvais dans le quotidien de nos ancêtres, mais la mort rôdait à un pas, alors qu’elle nous est presque étrangère aujourd’hui. En ce sens, l’écriture de Sandrine Collette nous ramène à notre animalité, à l’heure où l’essentiel des activités est tourné vers la quête de nourriture, le moyen de se remplir le ventre pour continuer à vivre.
La famine et le travail à crever sculptent les corps. Ceux qui subsistent grandissent peu, tant les carences brident la croissance. « Nous connaissons ce froid et la faim qui va avec ». « Le ventre hurle avant de se repaître ». Et la moindre miette de pain noir « leur fera un bonheur à en trembler des mains ».
La description de la nature, à la fois magnifique et impitoyable, contribue à une immersion totale.
Ce sont d’abord les caprices du ciel qui rendront la vie insupportable. On ne peut jamais se réjouir d’un grenier plein sans penser à la prochaine catastrophe. Dès les premiers signes de son réveil, l’esprit des hommes s’anime à nouveau. « C’est un chant de guerre au fond de la poitrine ». On songe aux prochaines récoltes qui rempliront les ventres. Le chef de famille « en rêve la nuit, il dort mal, la terre se laboure dans sa tête ».
Puis, les rêves s’évanouissent. Dès les premières gelées, la mémoire jette des images terribles devant ceux qui ont survécu à la dernière famine. À nouveau, c’est l’horreur, « la mort leur lèche les mains ». Sandrine Collette nous fait vivre un hiver glacial qui semble ne jamais finir.
Aucune vie ne résiste aux grands froids durables, aucun linge n’est assez chaud pour s’en prémunir, on se coucherait presque dans la flamme pour sentir la chaleur. « Le sol est dur comme un rocher qui aurait poussé sur le monde ». Il faut suspendre les morts aux arbres en attendant le dégel. Tout a été mangé. Il ne reste aucune graine à planter pour les labours suivants.
Dans cette descente aux enfers, l’écriture de Sandrine Collette est percutante. J’ai relu plusieurs fois certains passages uniquement pour le plaisir. J’ai admiré leur mécanique, leur concision, leur poésie. Et je me prends à noter des suites de mots qui me séduisent : « nous descendons notre respiration dans la terre », « il a passé la main sur son visage pour cacher la confusion qui dansait dans son sang », « Je prends sa colère, son chagrin, je les mets en boule et je les jette au loin »…
Sandrine Collette excelle aussi dans l’art de créer une atmosphère oppressante, où la menace est omniprésente. Les deux premiers actes (sur quatre) sont écrits à la première personne. C’est Bran qui parle. L’histoire prend place à travers ses yeux.
À la fin du deuxième acte, une simple phrase sidère le lecteur : une révélation qui le pousse à dérouler mentalement le fils du récit. J’ai lu plusieurs fois ce dernier paragraphe, puis je suis « remontée » dans le livre pour relever les indices, les situations qui auraient pu me mettre la puce à l’oreille, mais rien. Je me suis fait berner. Je mesure la joie de Sandrine Collette à l’idée de piéger ses lecteurs dans les mailles de son filet. Cela donnerait presque envie de lui écrire pour lui dire : « vous m’avez bien eu ! »
Et puis il y a cette tension allant crescendo depuis les premières pages jusqu’à la dernière. Madelaine ne comprend pas les limites, conduit les habitants du hameau à prendre des risques. On sent que les malheurs viendront d’elle.
La fin du troisième acte nous libère de cette tension autant qu’il nous saisit d’effroi. L’écriture se dilate soudain pour mieux mettre en scène l’explosion finale. Ce qu’il advient alors signe la mort probable de toute la famille. Et l’on est de nouveau suspendu aux lignes du dernier opus. Je le parcours si vite que mes yeux glissent sur les mots.
Je me surprends à ralentir consciemment ma lecture par respect pour les personnages et pour l’autrice !
Le point final arrive. Je referme le livre à regret.
Difficile de se plonger dans une nouvelle lecture.
Difficile également de se remettre à l’écriture…
Ah, j'oubliais... Celui ou celle qui a trouvé ce titre est un.e génie ! Tout y est : l'héroïne, la nature, le suspens. Je suis jalouse !
En 2024, Madelaine avant l’Aube a reçu le Prix Goncourt des lycéens et le Prix Goncourt des détenus. D’aucuns l’ont qualifié d’œuvre marquante de la littérature française contemporaine. Je les rejoins totalement. Je décide de faire de ce livre une réelle source d’inspiration pour l’écriture de mes propres romans.

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