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Les Yeux de Mona de Thomas Schlesser : un voyage artistique qui m’a laissée perplexe

Dernière mise à jour : il y a 6 jours



Les Yeux de Mona - le Roman français qui a conquis le monde
Les Yeux de Mona - le Roman français qui a conquis le monde

Après avoir dévoré Madeleine avant l’aube de Sandrine Collette et avoir eu un véritable coup de cœur pour son écriture, j’ai enchaîné avec Les Yeux de Mona de Thomas Schlesser. L’auteur, historien d’art, nous promet un voyage artistique à travers 52 œuvres exposées au Louvre, Orsay et Beaubourg.


Face à l’engouement médiatique qui avait suivi sa sortie, je ne pouvais qu’ajouter cet ouvrage à ma pile à lire.

Cependant, je dois l’admettre, passer de Sandrine Collette à Thomas Schlesser relève du grand écart. Très tôt dans la lecture, je me suis interrogée sur les raisons d’un tel engouement pour ce livre, car au-delà de l’idée originale et intéressante, il ne m’a pas offert grand-chose, et je ne peux que témoigner de mon immense déception après l’avoir terminé.


On sent que l’auteur s’est creusé les méninges pour arriver à bâtir une histoire prétexte à la présentation de quelques œuvres d’art : pourquoi ne pas faire échanger une fillette (Mona) avec son grand-père (Dadé) devant chaque tableau  ? Pour quel motif ? L’enfant aurait un problème de vue… il y aurait urgence à lui faire découvrir la beauté du monde. On installe donc un rapport de maître à élève, un peu comme dans Le Monde de Sophie de Jostein Gaarder.

L’idée est séduisante sur le papier. Malheureusement, les choix d’écriture de Thomas Schlesser conduisent à un roman qui manque cruellement de crédibilité.


Le manque de crédibilité de ce récit est exacerbé par une écriture ampoulée.

Mona, souhaitant être traitée comme une adulte, voit son vœu exaucé par Dadé, qui multiplie les termes et concepts savants. Dès la description du premier tableau, Mona entend : « berceau de la Renaissance », « effervescence », « prospère », « ordres religieux », « hauts dignitaires politiques », « échelle sociale », « mécènes ». Parlant de L’Astronome de Vermeer, Dadé s’exprime ainsi : « [cette petite toile] déploie dans un espace très serré un cosmos en miniature. Et partout, dans ces menus détails surgit l’incommensurable magnitude du monde. Partout palpite son infini afin de mettre au défi notre entendement et de stimuler notre rêverie ».

Malheureusement, la voix de Mona ne se distingue pas suffisamment de celle de son grand-père. Par exemple, lorsqu’elle déclare : « J’ignore tout du latin », on aurait préféré entendre une formulation plus naturelle pour une enfant de dix ans, telle que : « Je ne connais pas le latin », « Je ne parle pas latin », ou simplement « Le latin ? ». Ironiquement, à la fin du livre, alors que les échanges ont été d’une érudition constante, Dadé s’étonne de l’utilisation par Mona de la formule « qui plus est », ce qui a fini par me faire rire.

L’auteur s’enfonce dans une écriture sophistiquée, frôlant parfois le ridicule. On lit par exemple : « Cela piaillait, cela hurlait », pour décrire l’entrée de Mona en sixième. N’aurait-il pas été plus simple et plus dynamique d’écrire : « Ça piaillait, ça hurlait » ?

Dès lors que l’intention était de faire dialoguer un enfant et un adulte, pourquoi ne pas avoir opté pour une écriture adaptée au niveau de l’enfant ? Pourquoi ne pas avoir mis en scène une lycéenne, ce qui aurait rendu les échanges beaucoup plus crédibles ?


Des invraisemblances trop présentes

Le récit s’ouvre sur une invraisemblance : Dadé explique à sa petite-fille qu’ils n’iront pas chez le pédopsychiatre, mais au musée. Cela peut-il se produire dans la « vraie » vie ? Des parents, face à la cécité totale temporaire (une heure) de leur enfant, donnent carte blanche à l’aïeul ? Qui est ce Dadé, dont l’autorité supplante celle d’un professionnel de santé ? Soit, admettons que l’on se trouve dans une forme de conte. Cependant, l’histoire se veut ancrée dans la réalité, ce qui rend ces libertés narratives d’autant plus troublantes. Par ailleurs, les raisons de l’affection de Mona pour son grand-père restent obscures, tant il est dépeint comme antipathique.

De nombreux événements manquent de crédibilité ou semblent trop simplistes. Guillaume, le cancre, se métamorphose soudainement en élève modèle. Les coïncidences s’accumulent : la femme en vert se révèle être une conservatrice de musée, l’homme à qui Mona tire la langue devient son professeur de français.

Le rythme des révélations est également problématique. Pourquoi faut-il attendre 400 pages pour que Mona, enfant à l’intelligence exceptionnelle, s’interroge sur la mort de sa grand-mère ?

Enfin, la capacité de concentration de Mona, capable d’observer une œuvre d’art pendant une heure, dépasse l’entendement. Un tel enfant relève de la fiction. De même, le savoir encyclopédique de Dadé, capable de disserter sur la vie des artistes devant chaque tableau, semble irréaliste.

 

Le choix de la forme du récit : le roman

J’ai été gênée par un problème de dosage et d’équilibre entre deux éléments narratifs : l’histoire de Mona, un récit fragmenté, présentée en scènes courtes et espacées, qui appelle à une lecture fluide et immersive, et les analyses d’œuvres, passages denses et érudits (informations historiques, techniques et biographiques), qui demandent une attention soutenue et une assimilation approfondie.

Le problème principal réside dans l’alternance de ces deux niveaux : au lieu de se compléter, ils se nuisent mutuellement. La densité des analyses d’œuvres interrompt le rythme de l’histoire de Mona, rendant la lecture laborieuse. Le lecteur peine à assimiler la masse d’informations artistiques dans le contexte d’une lecture récréative.

Il en résulte un sentiment de frustration, avec un désir de lire les deux niveaux de manière séparée. En d’autres termes, la forme du livre ne sert pas son contenu.

 

Quelques points positifs cependant

Paradoxalement, la plus grande réussite de ce livre réside dans sa capacité à susciter un intérêt pour l’art. Si le lecteur retient peu de l’intrigue, il ressort avec une indéniable envie de fréquenter les musées. La description des œuvres, en l’absence de visuels, invite à un exercice de mémoire et de déduction, une forme de jeu que j’ai trouvé stimulant. Ce côté devinette, en particulier, s’est révélé assez vivifiant.

J’ai ainsi découvert des œuvres qui m’étaient jusqu’alors étrangères, notamment celles exposées à Beaubourg. Cette partie du livre s’est avérée particulièrement enrichissante, car elle m’a offert des clés de lecture pour appréhender l’art contemporain, auquel je restais hermétique.

La dernière page du livre, enfin, m’a profondément touchée, en particulier ce passage : « [Mona] tourna comme une toupie, ou peut-être comme un faisceau d’un phare […]. Elle vit des roches au bord de l’eau, l’ombrage d’une pinède, des montagnes au nord, des toits à l’est, des navires au large, puis à nouveau des roches, la pinède, les montagnes, les toits, les navires, les roches, la pinède, les montagnes, les toits, les navires… Elle tourna et les roches se confondirent avec la pinède, la pinède avec les montagnes, les montagnes avec les toits, les toits avec les navires, les navires avec les roches. Elle tourna et, au cœur du manège, le monde à l’entour se métamorphosa en une stratigraphie de couleurs vives, sans rien de reconnaissable. Mona nourrit son vertige jusqu’à tituber. Elle s’affala dans le sable ».


Si j’ai persévéré jusqu’à la fin de ce livre, c’est que Laurent Schlesser a su, malgré tout, retenir mon attention. Même si cela n’a tenu qu’à un fil.

 

En conclusion

Une bonne idée de départ ne suffit pas à faire un grand livre. Celui-ci a été survendu par les médias et survalorisé par les libraires. Cela n’enlève rien au professionnalisme de Thomas Schlesser dans son domaine. Et tant mieux pour l’éditeur et l’auteur si ce roman est un succès.

En tant qu’autrice, ce livre m’alerte toutefois sur l’importance de creuser l’étape de la conception d’un roman. Il est primordial de soigner la crédibilité (de l’histoire générale, des scènes, des dialogues, des personnages), et de choisir le bon format pour faire passer un message (roman ? Nouvelle ? Essai ? Chanson ? Poésie ? Cinéma ?).

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