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Une véritable plongée dans la subtilité, avec Persuasion, de Jane Austen

Persuasion se déroule dans les années 1810, plus précisément pendant et juste après la fin des guerres napoléoniennes. Je l’ai lu pour m’immerger dans cette époque, même si mon roman en cours d’écriture se passe en France, et non au sein de la gentry anglaise.

Donc, Persuasion nous raconte l’histoire d’Anne Elliot, une femme de vingt-sept ans qui regrette amèrement d’avoir été persuadée, huit ans auparavant, de rompre ses fiançailles avec le capitaine Frederick Wentworth, alors sans fortune. Lorsque Wentworth revient dans son cercle social, désormais riche et respecté, Anne est confrontée à la douleur de sa perte et à la possibilité d’une seconde chance.


Ce qui m’a particulièrement marqué lors de cette lecture, c’est la maîtrise avec laquelle Jane Austen nous immerge dans la conscience d’Anne Elliot. Bien que le récit soit mené par un narrateur omniscient, on a constamment l’impression de vivre l’histoire à travers ses émotions, ses espoirs et ses regrets. À certains moments, cette focalisation interne m’a rappelé la profondeur introspective de Proust dans À la recherche du temps perdu. Il en découle une empathie importante du lecteur pour le personnage. P. 167, on peut lire : « [Anne] avait besoin de la solitude et du silence qu’elle ne pouvait retrouver qu’au milieu d’un grand nombre de personnes ». Cette citation résonne avec un temps où l’intimité et l’individualité étaient des denrées rares.


J’ai également été frappée par l’art de la suggestion dans la construction de la relation entre Anne et le capitaine Wentworth. Leur rapprochement se fait par une accumulation de gestes subtils : un regard, un déplacement, un mot… Il faut dire que l’on baigne dans une époque guindée, où les personnages n’ont d’autres occupations que de s’observer mutuellement.

En cela, Persuasion offre une critique acerbe de la société de l’époque, notamment à travers Sir Walter Elliot, le père d’Anne. Obsédé par son image et son statut, il incarne une vanité et un snobisme ridicules. Son dédain pour les marins, qu’il considère comme des êtres qui, exposés aux éléments, « perdent toute figure humaine », est particulièrement ironique et cruel, étant donné l’amour d’Anne pour le capitaine Wentworth, lui-même un marin courageux et estimable. Cette attitude met en lumière les préjugés de la gentry et leur incapacité à reconnaître la valeur et le mérite au-delà des titres et des apparences. Son amie, Mrs Clay, nuance : « nous n’avons pas tous la chance de naître bien faits » (lol). À travers les propos de ce personnage, Jane Austen fait un constat : « Si chaque profession est nécessaire et honorable en elle-même, seuls ceux qui ne sont pas obligés d’en avoir une peuvent jouir d’une vie bien réglée à la campagne, faire de leur temps ce qui leur plaît, avoir les occupations qu’ils veulent et vivre sur leur propriété sans avoir à se tourmenter pour essayer de gagner plus. Ce sont les seuls qui, selon moi, peuvent longtemps conserver les bienfaits de la santé et de la beauté. » Eh oui, c’est un scoop, le travail use et déforme. Et nous ne sommes qu’au tout début de la révolution industrielle !


Dans cet univers, Anne pourrait être perçue comme passive, car elle reste en retrait de l’action. Pourtant, c’est précisément dans cette apparente invisibilité et sa discrétion que réside sa force, qui éclate au grand jour lors d’un accident : « Anne, Anne, s’écria Charles, qu’est-ce qu’on va pouvoir faire à présent ? Au nom du Ciel, que faut-il faire ? ». « Anne qui s’occupait d’Henrietta avec toute la force, le dévouement et la capacité de décision dont elle disposait instinctivement, essayait encore de temps en temps de réconforter les autres… Tous semblaient attendre d’elle qu’elle leur dise ce qu’il fallait faire. » Sa raison et son calme deviennent des forces motrices, en contraste avec la futilité et l’exubérance de son entourage.

Cette lecture m’a rappelé que la puissance d’un roman ne réside pas toujours dans une intrigue trépidante ou des héros actifs au sens traditionnel.


Enfin, malgré la mélancolie qui teinte l’histoire, j’ai vraiment apprécié la verve et l’esprit de Jane Austen. Son écriture est parsemée d’ironie et d’observations humoristiques sur les travers de ses protagonistes et les absurdités de la société de son temps. Cette légèreté rend la lecture assez divertissante. Cela doit expliquer la popularité sans limite de Jane Austen. Je viens de lire qu’une nouvelle adaptation en minisérie d’Orgueils et Préjugés est sur le point de sortir sur Netflix.


Cette lecture m’inspire trois remarques par rapport à ma propre écriture :

  • L’importance de l’immersion dans la conscience des personnages : Austen excelle à créer une connexion émotionnelle avec le lecteur en explorant les méandres de l’esprit de ses protagonistes. C’est un choix que j’ai fait pour mon prochain roman, en adoptant le point de vue interne donnant directement accès aux pensées de deux personnages et en jouant sur leur différente façon de percevoir et de juger de la réalité.

  • La force que représentent les héros discrets : l’héroïne, Anne Elliot, nous montre qu’une présence calme et une action réfléchie peuvent être tout aussi puissantes, voire plus, que des démonstrations spectaculaires. Dans L’Ombre de Mathilde, mon 2e roman, Michel est l’un de ces héros passifs. Le faire évoluer a constitué pour moi un véritable défi d’écriture.

  • Le roman doit permettre une critique sociale de la société dans laquelle évoluent les personnages. La capacité de Jane Austen à brosser un portrait éclairant de son époque fait écho à mon propre métier de biographe. La force d’un texte réside, entre autres, dans sa capacité à témoigner d’une époque. C’est d’ailleurs tout l’intérêt que je vois dans les romans historiques : découvrir d’où nous venons pour mieux apprécier notre environnement actuel.

 

J’avais ouvert ce roman avec un a priori, puisque j’anticipais une lecture longue et ennuyeuse face à une écriture démodée. Je dois avouer que j’ai été agréablement surprise, notamment par la fluidité de l'écriture, et qu’il m’a bien plu.


 



Couverture de Persuasion au format Le Livre de Poche

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