Ambre Chalumeau : Les vivants
- Franceline Burgel

- 11 juil.
- 5 min de lecture
Ambre Chalumeau est une journaliste, documentariste et écrivaine française, née en 1997. Elle est notamment connue du grand public pour sa participation à l’émission Quotidien sur TMC.
En 2025, Ambre Chalumeau publie son premier roman, Les Vivants, qui s’inspire d’un événement personnel. Ce livre aborde le thème du passage à l’âge adulte.
Imaginez trois amis inséparables : deux filles et un garçon nommé Simon. Simon est foudroyé par une maladie et tombe dans le coma. Ses deux amies doivent alors continuer à vivre, en attendant son hypothétique réveil. Ce livre est une très belle illustration de ce que sont les liens d’amitié.
Que dire de Les Vivants ?
D'abord...
L’écriture
L’écriture d’Ambre Chalumeau reflète sa jeunesse. Les phrases sont percutantes ; l’humour est grinçant et contraste avec la gravité du sujet.
Comme l’exemple vaut mieux qu’un long discours, voici quelques citations que j’ai relevées au fil de ma lecture.
Parlant des jeunes qui font la fête et vivent leurs premières ivresses : « on voit la vie en cirrhoses. »
Parlant de l’échelle de Glasgow (indicateur de l’état de conscience pour les traumas crâniens) : « Sur l’échelle [de Glasgow], disons que Simon, lui, il a déménagé à Glasgow. Il est citoyen d’honneur, on vient de lui remettre les clés de la ville, il est à ça de se faire élire maire. »
« Un rouge à lèvres visible depuis Pluton ».
« L’homme civilisé : l’homo Iphonus ».
« Perdre un enfant, c’est la carte Gold du malheur. »
Et cette explication incroyable de la transformation d’un jeune garçon à l’adolescence, qui m’a fait mourir de rire : « Il vit cette transformation si soudaine à l’adolescence où un matin, ils font un mètre douze les bras levés, ils ont la voix de France Gall, une coupe à mèche douteuse, des bras du diamètre d’une allumette et ils nagent, ils crawlent même dans leurs sweats à capuche, et là, on cligne des yeux et paf ! le lendemain, ils font deux mètres, leurs cheveux poussent vers le haut, leur voix fait de l’autotune entre baryton et Barry White, ils font trois pompes et demie chaque matin avec une hargne de Samouraï, leur menton devient poilu et on peut lire “Je veux pécho” sur leur front, en braille ».
« L’individu [personnage pas très malin] étant convaincu que Guernica, c’est la pommade qu’on se met sur les bleus ».
« Le garçon n’était pas foutu de conjuguer correctement le présent du subjonctif, en revanche, quand il s’agissait d’organiser de la débauche, c’était le cousin Asperger de Bill Gates. »
« Elle mange tout le temps, des kilotonnes de sucre et d’acides gras saturés, des hectolitres d’huile de palme, son estomac est devenu l’ambassade de Bornéo […]. Elle avait toujours aimé les petites notes sucrées, mais là, c’est toute la partition qu’elle s’enfile, et le piano à queue avec ».
« La dignité, c’est comme un briquet, ça se perd facilement. »
« Elle se prenait plus de vents qu’une éolienne normande. »
Ensuite...
Les portraits et les personnages
Ne cherchons pas dans ce livre une intrigue complexe. L’histoire est basique : l’élément déclencheur est le coma de Simon. L’histoire est ensuite ponctuée de microévénements qui viennent apporter un peu de tension au propos.
Le parti pris d’Ambre Chalumeau est d’étudier à la loupe ce qu’il advient de tous les vivants qui gravitent autour de Simon. C’est l’occasion de dresser une multitude de portraits. Et, dans cet exercice, Ambre Chalumeau excelle. L’idée du livre est de comprendre comment un événement aussi intense (un coma) touche les proches, modifie leur existence, ou leur regard sur eux-mêmes. Toutefois, cette profusion de portraits nous fait parfois perdre le fil de l’histoire. Je me suis plusieurs fois demandé de qui on me parlait.
Cette galerie de personnalités permet à Ambre Chalumeau d’aborder une multitude de sujets : entre autres, la pression démesurée et les méthodes humiliantes des prépas littéraires (Ambre Chalumeau règle des comptes), le coming-out, la résilience post-traumatique, l’alcoolisme, etc.
Ambre Chalumeau développe des sujets très durs avec l'utilisation constante de cette écriture corrosive aux tournures comiques. A-t-elle utilisé cette forme d'écriture pour offrir un contrepoids aux épreuves douloureuses que ses personnages traversent ? C'est possible.
Je ressors de cette lecture avec un sentiment d'avoir été confrontée à un grand désordre, sans avoir véritablement été touchée par la gravité de la situation vécue par chacun.
Enfin...
Un livre aux messages clairement assumés
Le dernier chapitre du livre permet à l’autrice d’afficher clairement son intention littéraire, une conclusion que je trouve finalement empreinte de candeur :
Sortir de l’enfance, c’est sortir d’une scandaleuse insouciance, d’une innocence criminelle. « La vie ne s’arrête pas lors d’une crise pour reprendre ensuite son cours : elle est en fait précisément en train de se dérouler, plus que jamais. » « Être vivant, c’est accepter de jouer le jeu des aléas de la vie. »
Je m’interroge : faut-il un événement fort émotionnellement pour que l’électrochoc se produise ? C’est le cas ici. Ambre Chalumeau a vécu quelque chose de similaire. Pour ma part, mon passage à l’âge adulte a plutôt consisté à décider et à prendre en main certaines tâches par moi-même. La découverte du monde du travail est la plupart du temps l’élément déclencheur. Mais effectivement, la vie nous réserve des épreuves que nous devrons tous traverser un jour.
Ce que ce livre m’a apporté
J’ai découvert cette écriture très fraîche et percutante qui m’a fait rire, malgré le sujet sérieux. En tant qu’autrice, je ne pourrais jamais écrire comme cela, car ce style ne me correspond pas. Je peux encore moins l’utiliser dans des romans historiques, sauf à me glisser dans le style de Jean Teulé, que je n’oserais jamais, au grand jamais, imiter ! Je m’interroge : l’écriture d’Ambre Chalumeau a-t-elle servi ou desservi son texte ?
La technique du portrait pour construire les personnages est extrêmement efficace ici. Le portrait sert le propos. J’en retire la nécessité de mieux creuser mes personnages et, au moment de leur élaboration, de ne pas en rester à leur vécu, mais d’aller jusqu’au bout de l’exercice en explorant comment ce vécu les fait agir, les conséquences sur leur mental et donc leurs décisions.
Afficher aussi clairement un message dans une œuvre ? Je ne suis pas certaine d’en avoir envie. Je préfère écrire une histoire, donner un but à mon héros, et finalement laisser aux lecteurs le soin d’en tirer une conclusion. Je trouve d’ailleurs que la littérature générale actuelle a trop tendance à mettre en avant des histoires qui sonnent comme des leçons de vie.
En conclusion
Je dirais que ce premier roman présage une belle aventure littéraire pour Ambre Chalumeau. L’écriture est à découvrir, mais j’attends avec impatience de voir ce que cette autrice proposera dans une histoire plus développée, comme j’aime en lire.




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