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Regard d'auteur

Dernière mise à jour : 26 janv. 2020

Paleysin. Parlez-en. Vous serez réconciliés avec l’humus du terroir. Franceline Bürgel, on la savait bûcheronne de la mémoire avec une fibre de romancière, l’on ne s’étonne donc pas qu’elle nous revienne avec un roman d’une facture chabrolienne. Tout y est : amour, guerre, trahison, meurtre, le tout ancré dans une histoire qui se joue pendant la Deuxième Guerre mondiale sur fond de la première, car les pansements de cette dernière ne sont pas encore retirés des plaies, ils sont visibles dans les stigmates que portent certains poilus survivants qui ont perdu, là une jambe, ici la raison. L’histoire se répète en bégayant.

La guerre est là. Comme des fétus « de paille à deux doigts d’un brasier », les jeunes gens en partance au front sont accompagnés par leurs fiancées jusqu’à la gare. Commence alors l’angoisse d’un courrier qui tarde ou qui cesse d’arriver, signe de l’annonce d’un malheur. Tel est le sort de la jeune Colette qui se consume dans l’attente du retour de son mari, Jean, quelque peu avare en correspondance.

L’auteure met en scène avec maestria la vie d’un village plongé dans la guerre sans pour autant que ses habitants renoncent à la joie de vivre, à leurs commérages. Elle nous enseigne que l’amour et l’humour préservent de la prostration devant le malheur. Les dialogues sont par ailleurs cocasses et drolatiques à la Pagnol. La gnôle aidant, le jeu de cartes au café de Le Gué (quel nom !) est un véritable festival de piques auxquelles personne n’échappe. C’est une sorte d’AFP du village où circulent aussi bien la docte ignorance que, dirait-on aujourd’hui, les fake news. La fontaine est un autre lieu où officient l’épouse de Le Gué, la Germaine à la langue de vipère, qui fait comparse avec Augustine, deux pies conspiratrices qui font penser au duo comique « Les Vamps » ! Elles se retrouvent à la fontaine pour y puiser l’eau et déverser tout leur fiel sur tel ou telle. Colette est enceinte ? Mais de qui ? s’allument-elles tête contre tête ! Ces deux mégères rendent le roman sonore par leur caquetage.

Tous les personnages ont du relief, ici noirs, là blancs, plus noirs que blancs ou plus blancs que noirs, mais jamais univoques. Rostaing, l’édile, avec son air protecteur, Marcel, le doux et serviable laitier à qui on donnerait le bon Dieu sans confession, le père Baptiste, je l’appellerais l’oncle de Paleysin, tant il est droit, juste et attentionné, Gustave l’éternel torturé, le cafetier Le Gué qui n’est pas l’époux de la Germaine pour rien (!), Louise l’imperturbable rivée à la tradition, Colette éblouissante par son audace, et d’autres personnages singuliers que le lecteur découvrira avec délectation. Tous transpirent l’humanité dans leur qualité comme dans leur défaut, jusque dans leurs intrigues.

Le personnage de Joséphine, ah, Joséphine ! est digne des personnages littéraires des grands classiques, c’est la Bovary sans Rodolphe, car son Charles est décédé pendant la Première Guerre mondiale, et elle ne s’en remettra jamais. Il faut dire que Joséphine aurait pu donner son nom au titre de ce roman tant elle l’illumine par son ascèse et sa douleur d’avoir perdu son jeune mari. Elle parcourt le roman comme une comète qui déploie sa chevelure avant de finir dans l’écrasement fatal. Recluse dans sa maison qu’elle n’ouvre qu’au facteur, elle s’abîme dans le deuil depuis 1915, plus de vingt-cinq ans durant, devant l’indifférence des villageois et la rancune de sa sœur Louise. Elle était ambitieuse et révoltée. Elle voulait s’arracher à sa condition sociale. D’origine modeste, elle s’est, dans le défi, mariée avec Charles d’extraction plus aisée, au grand dam de sa famille qui réprouve cette alliance. La mort de son mari a ruiné cette ambition. Colette, sa nièce, la seule personne admise à la voir, a subi son influence. Au cours de leurs tête-à-tête, Joséphine sut lui transmettre son goût d’indépendance. Ces deux personnages hauts en couleur symbolisent à n’en pas douter la difficile et courageuse émancipation de la femme aux prises avec le corset de la tradition qui enserrait la société villageoise d’alors.

Aux soucis de la guerre qui vide le village de ses bras, qui réquisitionne ses bêtes de somme, rationne tout, se greffent dans cette histoire les circonstances troubles d’un accident mortel de la route dont on ne connaît pas le responsable. Le père de la victime, Gustave, estropié de la Première Guerre, enrage de venger son jeune fils de quatorze ans, quitte à accuser sans preuve Marcel, le doux laitier. À travers ce fil, Franceline Bürgel tisse une autre toile et nous conduit avec malice dans un labyrinthe de pistes digne d’Agatha ! Le suspense est de mise.

La plume de Franceline Bürgel est gionesque, toute trempée dans la poésie bucolique. Il faut aimer passionnément son terroir, avoir humé les vapeurs chaudes de la terre fumante et l’haleine du foin sec, touché du doigt l’arc-en-ciel qui ceint au soir la vallée bergusienne, pour décrire si bellement et tendrement ses paysages : « Les hameaux se succédaient à flanc de colline, entre la rivière du Bion, sinuant au fond de la vallée de la Combe, et le plateau de Vacheresse plus élevé de deux cents mètres. Sur les plis de terrain avaient poussé des châtaigniers, chênes, charmilles, et des acacias, tandis que sur les mamelons orientés sud, on avait planté des rangs de vignes dont on tirait un vin honorable ». Ça sent la racine, non ?

Les guerres finissent toujours. Mal, car il faut compter ses morts. Jean, le mari de Colette, est revenu sain et sauf. Il découvre sa fille Marie, née en son absence. Mais la guerre est terriblement aveugle, elle récure les cœurs et les retourne comme des gants.

Nous ne dévoilerons pas la fin de ce roman à rebondissements. Un roman sain, champêtre, révélateur d’âmes dans toute leur vérité et leurs faiblesses, un réquisitoire contre l’absurdité de la guerre, et un hymne à l’amour sincère !


Je gage que ce roman obtiendra un prix d’ici peu. Le mien lui est déjà acquis !


Achour Ouamara





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